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United Langage of Babel

Photo du rédacteur: Melanie Frerichs-CigliMelanie Frerichs-Cigli

Musique de fin : «La Vuelta al mundo», Calle 13 - Tous Droits Réservés

Licence d’exploitation LE-0017854

Vous savez, quand on dit que 90 % de la communication est non-verbale ? Ben ça doit être vrai, parce que depuis six mois que je suis ici, je suis polyglotte… Heu, c’est-à-dire que je charabiate par-ci, je baragouine par-là et, bon an, mal an, les gens ont miraculeusement l’air de me comprendre… Dans presque toutes les langues !

Faut dire que c’est dans les deux sens que ça marche, cette histoire de communication – verbale ou non. C’est un exercice en fusion : vous, vous baissez toutes vos barrières. C’est sûr qu’il ne faut pas avoir peur du ridicule, il est inévitable. Entre les mots qui trébuchent, les gestes qui s’emballent, les mines qui s’animent et se déconfisent au fur et à mesure des quiproquos… OK, 90 % de la communication passe par le non-verbal, mais si on coupe le son, on vous prend pour un fou, garanti sur facture !


Mais l’autre aussi, il est à fond dans l’échange… Ou pas ! Par exemple, allez apprendre l’espagnol avec un castillan, l’anglais avec un anglais ou le français avec un parisien ! Ils ne feront pas des masses d’efforts pour comprendre vos pauvres tentatives de prononciation de phonèmes jamais croisés avant - ou vos incursions furtives dans une grammaire étrangiforme. Bref, vous allez galérer. Ouiiii, je généralise, m’enfin, c’est un peu vrai quand même, non ? Ici, les gens sont beaucoup, mais alors beaucoup plus ouverts et cherchent d’emblée à vous comprendre, quitte à saisir au vol un mot, un concept mal exprimé, le remettre dans le contexte et hop ! Miraculeusement, vous qui ne saviez pas dire bonjour, vous vous retrouvez à parler de la condition des femmes dans le monde, de la politique ou de la fréquence et de l’intensité des tremblements de terre (oui, c’est récurrent, ici. Et la chose, et la discussion).


Et puis, arrive un moment d’épiphanie, où vous vous rendez compte qu’une sorte de voile, un blocage s’effrite et tout ce que vous avez jamais su des langues vous revient. Tout, mais alors tout : les vagues leçons de latin qui vous servent sans réfléchir à extrapoler un mot à partir d’origines communes, les 7 ans d’allemand passés à souffrir des cours que je détestais pour un pauvre 10 au bac… Jamais été foutue de comprendre quoi que ce soit et je m’imaginais, à l’instar de beaucoup de français, perdue pour les langues.


Ben voilà qu’ici, j’ai des copains allemands, avec qui je parle anglais, dans un contexte espagnol (langue totalement inconnue 6 mois avant, je vous le rappelle!) et, quand ils font un apparté, je continue de les comprendre. Wallah, je vous jure que je parle mieux darija maintenant que je ne le faisais au Maroc ! Bon, en l’occurence, ça ne m’a pas servi, vu que j’ai voulu faire ma fière avec un libanais, oubliant que ce sont les marocains qui comprennent le libanais, pas l’inverse… Mais bon, lui, je l’ai compris, merci Harim al Sultan, dont je sais maintenant presque prononcer le nom en turc, vu que j’ai aussi rencontré des turcs très sympas (et avec une bonne tête), por su puesto que oui, Muhteshem Yusyil, même que yes, Sir !


Claro, tout vous revient, aber pas du tout dans le bon ordre. Et là, c’est un peu le drame… Wiliiiii, mouchkil bézef ! Surtout quand vous vous retrouvez à table avec 11 nationalités différentes, que 6 ou 7 langues fusent autour de vous et que vous vous sentez bien… Tout peut arriver, mais alors absolument tout ! Je me suis vue supplier en anglais deux turcs de me parler espagnol pendant qu’ils discutaient en allemand avec une allemande avec qui je parlais anglais. Mais comme j’avais aussi une copine française, un autre marocaine et que les turcs et le libanais comprenaient le français, sans trop bien le parler, tandis que la marocaine parlait arabe au libanais, celui-là même que je tentais désespérément d’impressionner en darija plus tôt dans la journée, certains bouts passaient en VO (c’est à dire en français, faut suivre!), alors que je sympathisais en espagnol avec ma voisine colombienne mariée à un greco-américain qui débattait fromages avec un italo-tico à côté. Toujours en espagnol mais pas les mêmes accents, sisi, ça fait la différence !


Bref, un concept en entrainant un autre – pas forcément dans la même langue, nous nous sommes retrouvés collectivement à parler un espéranto sabir de notre cru du jour – parce qu’à chaque fois, ça recommence, mais différemment, forcément. Par intercallages de mots étrangers ou bien par envolées lyriques, selon les cas mais c’était comme une bonne grosse Tour de Babel, cette tablée. Le must a été quand ma voisine m’a demandé d’un air de doute si l’allemande s’était mise à parler allemand dans l’enthousiasme (jawhol, mais je ne m’en étais pas rendue compte). Ah ! Et aussi quand on m’a montré un texte en portugais, que j’ai lu dans la foulée, avant qu’on me fasse remarquer que ce n’était pas de l’espagnol. Dois-je préciser que je ne détecte pas franchement quand l’italien met de l’italien dans son espagnol ? Non, cela va sans dire, mais on me l’a dit quand même et on a bien fait, c’est déjà assez dur d’apprendre une nouvelle langue à 40 ans, mais si en plus, on me perturbe, hein…


Oui, une vraie Tour de Babel… Sauf que tout le monde se comprenait dans l’ensemble. Que la discussion volait haut (presque que des universitaires ou des intellectuels, forcément!), était variée, intégrait des références à plein de cultures, qu’on s’amusait beaucoup, qu’on riait énormément de nos moments de flottements sans nous moquer, jamais. C’était étourdissant, fatiguant, stimulant - incroyablement riche, surtout ! Tout en étant particulièrement dépouillé, visant droit au coeur… Parce que la seule chose qui ne passe pas au travers des barrières du langage, c’est l’hypocrisie ou l’intérêt feint. La Pierre de Rosette se casse si l’exercice est fastidieux, ça donne mal à la tête. Par contre, quand l’humain parle à l’humain, il se fait entendre, toujours et c’est franchement réjouissant.


C’est peut-être ça, le mythe de la Tour de Babel, quand on y réfléchit. Si nous sommes des parlêtres, au sens de Lacan, c’est-à-dire si nous sommes incapables de penser sans langage - alors même qu’aucune langue ne saurait recouvrir le Réel mais seulement le symboliser, dès lors, nous sommes fondamentalement incapables de nous comprendre les uns les autres. Chacun parlant sa langue propre, recouvrant imparfaitement de concepts imparfaits une vision du monde intrinsèquement et irréductiblement singulière, nous nous égosillons dans le désert… A moins que quelqu’un ne nous écoute activement. Alors, la langue, les langues et leurs imperfections n’importent plus, c’est UNITED LANGAGE OF BABEL para todos s’il le faut mais on se comprend. C’est la question du désir et c’est d’ailleurs comme cela, à partir de locuteurs imparfaits mais aimants (leurs parents), que tous les enfants du monde apprennent à parler. Oui, dire ne suffit pas, il faut dire à quelqu’un. Et c’est sans doute pour cela que symboliquement c’est la Parole et non l’écrit qui tient une place centrale dans les Livres Saints de toutes les religions… Car si au Commencement était la Parole qui crée le Monde, il a bien fallu que le Monde s’entende être Dit.


Mais bon, au quotidien, c’est surtout hyper pratique. Pura vida !

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