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Stupeur & ecroulements

Photo du rédacteur: Melanie Frerichs-CigliMelanie Frerichs-Cigli

Dernière mise à jour : 22 août 2021

Musique de fin : "Lose Yourself" (Eminem) Gypsy Jazz Cover by Robyn Adele Anderson – Tous droits réservés - Licence d’exploitation LE-0017854


Moi qui voulait m’arrêter 4 jours pour travailler techniquement mon format, voilà que j’ai arrêté 4 semaines pour ne pas vraiment en changer. Les raisons en sont multiples et les excuses, dans l’ensemble, foireuses, de votre point de vue, je suppose. Il y a un mélange : effectivement, une mise à niveau technique de mes compétences s’impose. Etre une bonne journaliste radio ne fait pas de moi une podcasteuse et j’ai tant à apprendre ! Seulement, je vous mentirais si je vous disais que j’y avais passé ces quatre semaines. J’y ai passé 4 jours, ce que j’avais prévu initialement, et puis les bras m’en sont tombés pour le moment. Mais bon, j’ai des excuses : d’abord, j’ai l’espagnol à apprendre, un nouveau pays dans lequel faire ma place et puis, il faut que je trouve les moyens de ma subsistance, mes bons ! Parce qu’il est peu probable que ce podcast devienne viral très vite ou même tout court, soyons réalistes. Ben oui, le monde va vite, très vite, trop vite et directement dans le mur. Et ça, c’est la vraie raison de mon silence ces dernières semaines.


Je ne suis pas surprise, l’analyse me faisait pressentir que nous en arriverions à l’énorme bordel auquel nous assistons en ce moment. Cependant, dans ce genre de cas, on espère toujours se tromper. Et puis de fait, je prévoyais un énorme bordel et c’est bien ce que l’on a, sur fond de crise économique et crispations identitaires favorable à une bonne guerre des familles. Cependant, les détails du bordel sont impossibles à prévoir, difficiles à analyser et franchement trop rapides pour que vous m’appeliez Nostradamus. D’ailleurs, tous, nous le sentions, que le bordel nous attendait. C’est peut-être pour cela qu’en ces quatre semaines, les protestations, plus ou moins dramatiques ou festives, ont flambé partout ! Et c’est définitivement pour ça que je me suis retrouvée coincée : tout va trop vite pour qu’un podcast quotidien puisse isoler et mettre en lumière les choses les plus importantes.


Une des règles fondamentales en journalisme peut être théoriquement mise en équation : le moment idéal pour parler d’un sujet, c’est quand la tension sensationnaliste s’évapore un peu (donc pas immédiatement) car on risquerait de ne pas avoir assez d’infos vérifiées. Mais comme l’intérêt du public se dissipe vite, il faut traiter du sujet dès que l’analyse est possible (donc pas dans longtemps). Ça, c’est la théorie : la tension entre infos vérifiées et intérêt du public, pondérée par votre capacité d’analyse plus ou moins rapide vous donne le temps idoine de publication. Mais là, comment voulez-vous ? Le temps n’a plus la même valeur ! Bon, ça a toujours été un truc très élastique, le temps. Mais en ce moment… Tenez, rien qu’en politique, si on ne parle que des protestations qui secouent le monde entier. Pas des guerres, pas des élections, même pas de toutes les crises, non ! Juste des protestations.


On a, ou on a eu, ces quatre dernières semaines, en Amérique Latine :

- le Pérou qui sort à peine une crise politique, économique, institutionnelle majeure, avec dissolution du Congrès VS suspension pour un an du président. Bon, finalement, il a pu reprendre le pouvoir et former un nouveau gouvernement, mais pour combien de temps ?

- la Bolivie où la victoire au premier tour du président sortant Evo Moralès provoque des violences incrédules ;

- l’Argentine, où le retour de la gauche a fait plonger l’économie (encore) un peu plus, si c’était possible ;

- le Vénézuela, n’en parlons pas, 4600 % d’inflation and couting… La rue ne cesse de protester, puis de se calmer, puis de protester ;

- la Colombie, où les indigènes sont massacrés, dépouillés et maltraités à tour de bras au fur et à mesure que Bolsonaro défriche l’Amazonie sur fond de protestations générales de plus en plus vivaces ; Paraît que le ministre de la défense a démissionné hier. Il aurait bombardé des enfants, dans un campement dissident des FARCs ;

- Et bien sûr, le Chili, en état d’exception, avec couvre-feu et tout et tout, tout ça pour l’augmentation du prix du ticket de métro qui a suffit à déclencher une vague de protestations contre les privatisations qu’on ne sait pas éteindre, tandis que la situation économique est de plus en plus tendue et le droit des travailleurs réduit à quia.


En Europe, à vu de nez, on a :

- La France, qui est à un an de protestations pourtant réprimées avec une violence physique, policière, judiciaire, politique, médiatique, symbolique insensée ; Où l’on en est à insulter les pauvres, les noirs, à préconiser le tir à balles réelles entre bons démocrates médiatiques ;

- La Catalogne qui flambe ;

- Et bien sûr, le Brexit, qui n’en finit pas de ne pas savoir ne pas se faire - ou l’inverse, je m’y perds.


En Asie,

- l’Indonésie proteste (toujours mais on n’en entend plus parler) contre la révision du code pénal et l’introduction de lois liberticides : deux étudiants tués, des centaines de blessés, une broutille, finalement comparé à :

- Hong-Kong, bien sûr, dont les manifestations, là encore réprimées avec une violence inouie, ne s’arrêtent pas depuis juin. Le décès d’un étudiant tombé lors d’une manifestation va encore réenflammer les choses.


En Afrique,

- l’Algérie ne sait toujours pas bien où elle en est et qui dirige quoi. Ce qui est sûr, pourtant, c’est que les mois passant, les passants insouciants de cette révolution dont nous étions si fiers sont de plus en plus acculés par des généraux affairés.

- le Soudan manifestait pour réclamer la dissolution du NCP, l’ancien parti au pouvoir que ces mêmes protestations, en vigueur depuis 2018, avait fait perdre aux élections, mais c’est pas ça qui fait baisser le prix du pain. Pas de nouvelles depuis mi octobre, cela ne veut pas dire qu’il ne s’y passe rien. Le Soudan du Sud espère éviter la guerre civile, une fois de plus. 100 jours, titrent les journaux, comme si 100 jours pouvaient changer la donne d’un pays qui n’a pas les moyens d’en être un.

- la Guinée, où l’idée d’un troisième mandat d’Alpha Condé, proposée en réforme constitutionnelle, ne passe pas et fait officiellement 17 morts, mais ce n’est que le début.

- Le Tchad, où les fonctionnaires ne sont pas payés et les protestations continuent, de plus en plus violentes. Je ne parle même pas de la guerre au nord du pays, hein. Juste des protestations.


Et ça, c’est que ceux que j’ai vu passer, parce que je suis sûre qu’en cherchant bien, il doit y en avoir d’autres.


-Tenez, par exemple, le Liban, où, dans la bonne humeur on termine la quatrième semaine de manifestations. L’Egypte en a marre de la corruption et sporadiquement mais régulièrement, la place Tahir flambe… Je doute que les femmes y soient mieux traitées que la dernière fois. Le Brésil n’est pas loin de l’éclatement non plus et l’Equateur était dans la rue il y a 3 semaines à peine. Au Maroc, 3 rappeurs au flow pas mauvais du tout se sont directement attaqué au Roi. Et si cela n’est pas une manifestation très importante, au niveau symbolique, elle est inégalée. Deux d’entre eux sont en tôle. Je n’ose imaginer ce qui leur arrive pour avoir dit tout haut ce que pensent beaucoup trop de jeunes marocains désargentés, avec quelques raisons, hélas.

Bref ! C’est l’éclatement systémique des systèmes politiques contemporains et il n’y a pas grand-chose à y faire. Du fond de notre impuissance incrédule, nous ne pouvons que constater un fait, intéressant, c’est que les raisons en sont toujours les mêmes partout, à Santiago ou à Gottinguen : crise économique et sociale, perte de sens et d’identité, éclatement des valeurs communes au profit de communautés de plus en plus restreintes aux intérêts divergeants, provoquant des luttes horizontales et donc, plus aucun contrôle réel sur la verticalité de l’état, laquelle limite de plus en plus les libertés individuelles d’une façon d’abord pernicieuse, puis féroce, au fur et à mesure que le fichage total des populations s’effectue. Bref, oui, cette crise est civilisationnelle, et notre civilisation mondalisée ne laissera personne échapper tout à fait aux problèmes que cela va engendrer. Pour autant, cela ne signifie pas que cette crise, allez, cet effondrement, pour être majeur et systémique, se fera dans les mêmes conditions et pour les mêmes conséquences partout. Chaque pays, chaque région du monde a sa propre histoire, ses contraintes économiques, sociales, géopolitiques, son système judiciaire, sa politique intérieure, sa sphère culturelle, religieuse, etc. qui tous auront leur importance pour la sécurité et les perspectives d’avenir des populations. D’ailleurs, tous ne sont pas partie prenante de cette civilisation en déconfiture de la même manière.


C’est porteur d’espoir : rien n’est perdu, au fur et à mesure que les choses se décantent, des solutions, bonnes ou mauvaises, plus probablement mauvaises que bonnes dans un premier temps, mais des tentatives, en tout cas variées de réponse à cette situation voient le jour ou vont le faire. En revanche, tout cela demande plus de travail à comprendre et expliquer que je ne peux humainement en fournir : à peine ais-je le sentiment d’avoir pris la mesure d’une information que quatre autres me sont passées sous le nez. D’autant que je ne suis pas imperméable non plus à l’émotivité de réaction face aux petites phrases de provocation, à la stratégie du show-bizz politique tel qu’il se passe maintenant, quand bien même j’ai une conscience aigüe du décalage de plus en plus abyssal entre ce qu’il se produit sur la scène géopolitique et ce qui en ressort dans les informations. Rien que cela me prend un temps fou. C’est le prix de l’indépendance, aussi. Je n’ai pas accès à plus d’informations que vous, individuellement, à peine plus d’entrainement et d’outils. Revenir sur le délire provoqué, réactif, à l’information quelle qu’elle soit, me recentrer et recommencer à me poser des questions cons comme la lune, mais salvatrices : mais attends, pourquoi on me dit ça ? Qu’est-ce que je sais vraiment de cette situation, de ce pays, de ce problème ? Qu’est-ce que je peux en apprendre ? Revenir aux fondamentaux de l’analyse, toujours. Ne pas devenir paranoïaque. Mais par-dessus tout, en ce qui me concerne, envisager l’avenir, et me positionner en accord avec mon éthique et mes contraintes d’existence. Cela implique une projection du désir qu’il est difficile à chacun d’avoir pour soi-même en ces temps incertains. D’ailleurs, on le voit, le déclinisme, le récit pré-apocalyptique est omniprésent, entretenu par la sphère politique. Nous sommes envahis, en danger de grand remplacement, sans compter la montée des eaux, la destruction de l’écosystème, la pollution, etc. ad nauséum et bien au-delà. Comme pour mieux nous paralyser, nous prépaper à tout accepter qui ne serait pas tout à fait aussi définitif.


Bref ! Comme beaucoup, je suis perdue. Peut-être un tout petit peu moins que ceux qui pensent avoir tout compris et détenir, du fond de leur radicalité respective, la solution à tout, mais à peine. Et je ne veux ni être manichéenne, manipulée ou dévoyée, non plus que pérorer sur bien trop gros pour moi du fond d’une lucarne trop étroite sur le monde pour comprendre les conséquences de mes propos. Et bien sûr, jamais je ne reviendrai au journalisme tel qu’il est en train de devenir. J’ai trois domaines de prédilection et disons, d’expertise relative : la géopolitique, elle m’horrifie, tout du moins en tant que ce qu’elle ferait de moi si je devais réellement en faire mon métier, quoiqu’en pense mon mentor premier dans le domaine, mon cher ami Gabriel ; le journalisme, il me dégoûte ; et la culture, elle disparaît, des ministères, des discours médiatiques, politiques et même de l’éducation un peu partout dans le monde.


Que voulez-vous que je vous dise ? Si ce n’était pour vous, qui me tirez par le bras pour que je continue et pour le sentiment d’urgence de dire au moins un peu de tendresse, d’envie, de joie, de feu, de putain de désir d’humanité à partager sans naïveté pour autant, juste un peu d’empathie, un peu d’analyse avant de vouloir, par panique, se foutre sur la gueule les uns les autres, je me replierai encore un peu plus que je ne l’ai fait au fond de ma jungle. S’engager, c’est bien, mais pour quoi et comment ? Parler, oui, mais de quelle manière s’y prendre pour faire dérailler le train du délire ? Dans l’intervalle, comme vous tous, j’essaie de vivre et cela a sans doute plus de sens que tout. Pardonnez-moi, je vous reviens !

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