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Un monde à la mer

Photo du rédacteur: Melanie Frerichs-CigliMelanie Frerichs-Cigli

Dernière mise à jour : 21 août 2021

Musique de fin : "Chinese Man feat. ASM - Wolf Live (Natura'Live 2019 avec l’Orchestre du Grand Avignon)" - Tous Droits Réservés - Licence d’exploitation LE-0017854


Ce qu’il y a de marrant, avec la géopolitique, c’est qu’on comprend enfin pourquoi on s’est fadé la géographie toute sa scolarité et surtout, ce qu’on nous a imprimé comme idée sur le monde à travers elle. Oui, géo-politique, il y avait bien un indice, que la plupart des analystes du dimanche oublient, obnubilés par la carte plutôt que par le territoire et qui peut-être ne voient pas comment la bascule des pouvoirs qui se joue est inévitable, inscrite déjà dans la possibilité des routes commerciales.

D’abord, le centre économique du monde a shifté, du fait de l’arrivée de la Chine et de l’Inde au rang des puissances commerciales : ce sont à la fois de gros producteurs et d’énormes consommateurs de ressources, qu’il faut bien transporter. Or le transport maritime est finalement et de loin le moins coûteux et le plus pratique, qu’il s’agisse d’exporter des produits manufacturés ou d’importer des matières premières (ce qui est le jeu de toutes les puissances économiques, piller les ressources ailleurs en les achetant à bas prix pour ensuite inonder tous les marchés, y compris les plus pauvres de marchandises manufacturées, sur lesquelles la plus-value est meilleure).


Et, de la même manière que la domination sur l’Atlantique avait permis l’émergeance de puissances majeures, comme la Grande-Bretagne, sous-région barbare du temps de la Mare Nostrum, c’est désormais le Pacifique qui concentre le plus d’activités commerciales. Et oui, bien entendu, cela aura les mêmes répercussions, et ça les a déjà ! Ainsi, la Chine à elle seule génère 1/3 du commerce maritime global et les sept principaux ports mondiaux sont asiatiques, ou directement reliés à l’Asie par des routes régulières : Rotterdam, Dubaï, Singapour, Shenzhen, Shanghai, Hong Kong et enfin Busou.


Mais si le transport maritime n’est pas cher, il est en revanche plein d’aléas. Certes, la mer recouvre 72 % de notre planète et l’on peut naviguer d’un coin à l’autre, si je puis dire, mais certains passages reliant un océan à un autre sont étroits, appartiennent aux eaux territoriales des pays riverains et donc font l’objet de conflits majeurs. Détroits, caps et autres défilés concentrent tout le commerce mondial et bien entendu, cela signifie qu’une grande part des conflits actuels et à venir leur sont reliés. Ainsi, le détroit d’Ormuz, qui est actuellement au coeur du début de guerre avec l’Iran, (navires coulés et tout koulchi), représente l'unique voie de sortie maritime du pétrole saoudien et iranien, ce pourquoi il est considéré par l'Agence internationale de l'Énergie (AIE), comme le plus important passage stratégique du monde pour l'approvisionnement énergétique.

Mais d’autres détroits ont provoqué et sont parfois toujours le théâtre de guerres, comme Gibraltar, Magellan, le canal de Suez ou du Panama ; Malacca, dont on disait déjà à la Renaissance que quiconque le contrôlait tenait Venise dans sa main, puisque c’est la Route Maritime de la Soie, aujourd’hui surtout stratégique pour le passage des hydrocarbures à destination de la Chine et du Japon, lequel reçoit 80 % de ses importations via ce passage, vous imaginez ? Ah, et aussi bien sûr par le détroit de Lombok, mais celui-là est plus facilement contrôlable par des flottes régionales, pour des puissances dépourvues de capacité de projection maritime globale comme la Chine et le Japon. Ceci dit, ça explique les délires de contrôle en mer de Chine ou dans l’océan indien et la multiplication des sous-marins achetés par tout le monde dans le coin, comme s’il s’agissait d’un accessoire de mode, quand on sait que c’est une arme uniquement offensive.


Bref, si le conflit iranien devait réellement advenir et bloquer Ormuz, combien de temps les puissances pourraient-elles tenir sans pétrole ? A moins qu’il n’y ait d’autres voies qui s’ouvrent ! Et, sans vouloir contrarier John Snow, l’hiver ne vient pas, mais le temps des pays du Nord, si ! Depuis 2008, deux routes commerciales et stratégiques nouvelles sont désormais praticables en été, la route du Nord, qui passe par les eaux territoriales de la Russie et la route du Nord-Est, que le Canada revendique, mais qui est contesté par tout un tas de joueurs, dont le Danemark, les Etats-Unis, la Chine, la Norvège et bien d’autres, dont la France, sisi. Cherchez pas, la France est une grande puissance maritime, l’une des plus grandes du monde, supérieure à la britannique et seulement dépassée par les Etats-Unis. D’ailleurs, nous avons encore des colonies stratégiques qu’on ne lâchera jamais si on peut faire autrement. La France, pays amazonien, oh que oui ! Et plutôt deux fois qu’une, même, si elle peut ! Mais passons, c’était une disgression.


Jusqu’à peu, comme je vous l’avais expliqué, seule la Russie a réellement investi une part majeure de son budget dans le développement de l’Arctique. Mais depuis l’an dernier, la voie du Nord - même si pas encore celle du Nord-Est, est ouverte presque toute l’année. Ce qui signifie que la liaison Pacifique-Atlantique est non seulement plus rapide, moins coûteuse, mais surtout, indépendante du canal de Suez, dont on estime qu’il va perdre de l’ordre de 50 % de son trafic, payant et limité en plus en tonnage. Idem pour le canal du Panama, qui verra vraisemblablement son importance baisser d’au moins 25 %, alors qu’il est en pleine tourmente de travaux depuis déjà 12 ans, et c’est pas près de s’arrêter car la montée des eaux due au réchauffement exige la construction d’un troisième lac artificiel pour absorber le surplus. Mais à dire vrai, le canal de Suez aussi a connu, connaît et connaitra encore des investissements majeurs, tout comme les alentours de Gibraltar, parce que l’Afrique reste un marché, à la fois d’importation et d’exportation important pour tout le monde, même l’Asie. D’ailleurs, la Chine a pour ambition très nette de relancer la route de la Soie, sous son contrôle, cette fois. Mais la voie du Nord change quand même considérablement la donne globale.


Car la Chine, le Japon, l’Asie en général ne dépendrait plus vraiment des hydrocarbures moyen-orientaux, avec les réserves arctiques déjà exploitées par la Russie, notamment le gaz. De telle sorte que les Etats-Unis, qui contrôlent aujourd’hui tous les points de passage principaux : Ormuz, Suez, Panama, Malacca, Lombok, Gibraltar, etc. pourraient bien se retrouver le bec dans l’eau, tandis qu’enfin, les anti-colonialistes primaires vont se réjouir de voir que la projection de Mercator va être bientôt détrônée… Au profit d’une autre vision, celle des nouveaux impérialistes de demain, parce que si on reste dans le système politique tel qu’il se négocie depuis… Ouf ! Toujours, ben le monde va changer de maître mais pas de chaînes. C’est ce que l’on voit d’ailleurs au fur et à mesure que la Chine rachète les dominions que l’Europe avait autrefois conquis. Mais en clair, la Mer Mediterranée n’est plus qu’un passage, certes important, mais plus une destination majeure... Enfin, si, finale pour tant et tant de gens que c’en est surtout un cimetière, et elle n’a plus à être centrale sur la carte, qui s’adaptera aux nouveaux rapports de force.


De manière fascinante, un monde nouveau de puissances potentielles s’ouvre : le Canada, en premier lieu, géant glacé et presque désert, qui «importe» si je peux m’exprimer ainsi 250 000 nouveaux immigrants chaque année et qui va désormais avoir des terres riches à exploiter et une place centrale sur la nouvelle carte, d’autant qu’il possède d’énormes réserves d’eau douce, or cela aussi, cela signe la future puissance.

Oui, l’eau, toujours, même si pas la même, enjeu majeur qui justifie tous les conflits de demain. Tenez, je ne serais pas étonnée que l’OPEP ne devienne bientôt l’acronyme des Pays Producteurs d’Eau Potable, c’est dire ! Or les grands gagnants de la route du Nord ou du Nord-Est sont aussi ceux qui disposent des plus grosses réserves d’eau douce, comme la Russie et la Chine. Les Etats-Unis en revanche, qui en possèdent également beaucoup, risquent d’être fortement perturbés par le réchauffement climatique et les transformations de l’Amérique du Sud (notamment l’Amazonie), qui affectent les courants aériens, donc la pluie. Les autres puissances de l’eau douce, l’Inde, le Brésil, la Colombie, le Pérou, sont au confluent des effets du réchauffement et des modifications drastiques de l’environnement par l’industrie et l’agriculture. Ils commencent à ressentir de plus en plus les effets des sècheresses, de même d’ailleurs que le Costa Rica, qui pour n’être pas une puissance, dépend de sa saison des pluies bien trop sèche cette année encore, mais dans le même temps, les routes du Sud aussi vont devenir plus intéressantes et je parie bien que le détroit de Magellan comme le Cap de Bonne Espérance ont de l’avenir stratégique devant eux, aussi malaisés soient-ils tous deux à naviguer pour l’instant.


Et ce sont bien les deux pôles qui vont compter, Nord et Sud, prioritairement. Par contre, le centre est grillé et ne parvient plus à imposer de passer par lui quand les détours sont si rentables, bien que les nations du centre, ce qu’on appelait avant le nord - l’occident, si vous préférez, soient toujours puissantes. Tenez, depuis Tanger Med, les containers africains ne passent plus par le Havre pour rejoindre le Maroc, une abberation géographique et économique qui aura prédominé longtemps, pourtant. De même, dans les Dom-Tom, tout passe encore par la France, qui se trouve ainsi présente sur tous les continents. Mais l’implantation des chinois, qui construisent des infrastructures à tour de bras partout vient contrarier une machinerie jusqu’à lors bien huilée pour maintenir en état de dépendance économique, sociale et potilique un bon morceau du monde. Et la décadence se ressent, dans l’abandon progressif puis de plus en plus net de la francophonie (qu’est-ce que cela veut dire quand une grande compagnie nationale choisit un slogan en langue étrangère ? France is in the Air, Pfuuu! Et en même temps, «start-up nation», vraiment ?!?). Mais aussi dans le retard de plus en plus net en recherche et développement, en nouvelles technologies, bref, en tout ce qui n’est pas l’armement ou la recherche spatiale. Bien sûr, l’occident ne se laissera pas faire, donc multiplication des conflits. Et cela ne fera que renforcer l’agressivité des Etats-Unis qui pour le coup, non seulement ne sont plus centraux dans les échanges mais n’ont pas d’empire, juste une domination qui s’apparente plus qu’autre chose au comportement d’un bully. Malgré tout, historiquement, l’ancien monde n’a aucune chance de renverser la tendance, seulement de prolonger l’entre-deux gris de la reconfiguration par le chaos. Et à vous parler ainsi, de bon matin, j’ai l’impression de jeter ma bouteille d’humanité dans une mer bien tempétueuse !

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