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Retour à soi

Photo du rédacteur: Melanie Frerichs-CigliMelanie Frerichs-Cigli

Dernière mise à jour : 21 août 2021

Musique de fin : «Morning thoughts» Gil Scott-Heron - Tous Droits Réservés

Licence d’exploitation LE-0017854


Aujourd’hui, j’ai eu envie de faire une chronique légère – on ne peut pas être tout le temps déprimé, n’est-ce pas ? C’est pas bon d’obséder ainsi ! Alors, distraitement, j’ai commencé à chercher des «bonnes nouvelles», des avancées majeures propres à nous donner de l’espoir, des films qu’il faudrait voir pour se sentir bien, de la musique cool, etc. Très vite, je me suis retrouvée sur une page de recherche Google avec plein de fausses bonnes nouvelles naïves, répétées d’un article au suivant sans une virgule de changé et moi qui me fait un hobby de trouver et relayer les idées et concepts lumineux, j’en suis restée incapable de me souvenir de quoi que ce soit de lu, écouté, entrevu de surprenant ou positif ces derniers temps, alors qu’il y en a plein !

Et puis j’ai noté une forme de régularité dans ce genre de publications : une vague tous les trois mois, environ, surtout en fin et en début d’années. Et c’est vrai que je me souviens, quand je travaillais pour un média, quel qu’il soit et tout au long de ma carrière, on nous demandait de temps en temps de trouver des trucs positifs et c’était là qu’on «dénichait» le résultat d’une étude sympa, directement diffusée à la rédaction ou bien entrelue chez un confrère de presse écrite. Et hop ! Voilà comment en une semaine, une même «bonne nouvelle» formatée en burger, 1 minute de lecture tout compris fait le tour du monde, presque exactement dans les mêmes termes… Avant de nous laisser de nouveau sur la touche, devant les restes de l’actualité.


Ouiiiiiiii, je sais, je vous déprime encore ! Mais à dire vrai, ça ne devrait pas, ou du moins pas plus que le fait d’être lucide sur le monde avant d’être lucide sur soi-même ne le fait. Parce que quand on y réfléchit, c’est pas un peu primaire de vouloir équilibrer une mauvaise nouvelle par une qui serait bonne ? Genre, on perd dans cette colonne mais on gagne dans cette autre, comme si l’on pesait des légumes ou faisait un bilan comptable. Mais c’est assez aberrant ! Ce n’est pas parce que j’aurais vu une œuvre d’art qui me bouleverse que la forêt Amazonienne ne brûlera pas. Evidemment, l’inverse est vrai aussi : certes, la forêt brûle, mais j’ai non seulement le droit mais surtout le devoir de m’émerveiller devant la Beauté, fondement du Vrai et du Bon, selon certains, qui n’étaient pas si cons. Enfin, vous comprenez l’idée, quoi. C’est ce moment précis où un pote vous dit «une de perdue, dix de retrouvée» et où vous avez envie de lui foutre votre poing sur la gueule. Version fille, on a envie de griffer, mais les potes nous font toujours le coup et on a toujours une ptite pulsion violente, sisi, soyons honnêtes… Vous savez qu’ils ont théoriquement raison, mais ce n’est pas le moment !


Et est-ce vraiment le moment de se distraire, alors que nous prenons de plus en plus conscience des enjeux de l’époque que nous vivons ? Et pourtant, je suis d’accord avec vous, on ne peut pas vivre en permanence dans la lourdeur du diagnostic. Mais passer de l’un à l’autre extrême, sans passer par la case réflexive, encore une fois ? Nos propres instincts de survie ne nous tromperaient-ils pas collectivement, savamment aidés en cela par une batterie de dispositifs destinés à influer nos modes de vie et de consommation ? C’est marrant, parce que la maladie mentale du siècle, si je puis dire, celle en tout cas dont personne n’avait entendu parler ou presque avant ces 20 dernières années, c’est la bipolarité, soit le fait d’alterner phases dépressives et épisodes maniaques de suractivité survoltée, c’est-à-dire naviguer entre angoisse et euphorie. Mais sincèrement, les gens, c’est pas nous qui sommes de plus en plus fous, c’est le monde qui l’est et nous modèle à son image ! L’actualité est bipolaire par essence : vous passez sans transition de la catastrophe écologique du siècle aux perles du bac, d’un attentat à un reportage dans une ferme bio qui vend du lait d’alpage produit étrangement dans le Plat-Pays, bref, comment voulez-vous rester sain d’esprit ?


D’autant qu’être positif, c’est une injonction première de notre société. Vous avez non pas une mais deux manières d’exprimer votre «amour» pour les publications d’autrui sur les réseaux sociaux, vous pouvez liker ou lover, c’est dire ! Le DSM-5 voulait classer en deuil pathologique plus de 15 jours consécutifs de tristesse à la mort d’un proche… Faut droguer, qu’on soit heureux, HEU-REUX, j’vous dis ! D’ailleurs, le cannabis fait son grand retour sur le marché – il est juteux, et ce n’est pas le Maroc qui va contrecarrer le mouvement, lui qui sait si bien la valeur apaisante pour la société qu’un peu de kif peut produire. Et qu’est-ce qu’on vous martèle en permanence ? Qu’il faut kiffer la life et puis aussi savoir se vendre, montrer ses atouts, se mettre en valeur, bref, masquer nos faiblesses, nos désarrois, les dépasser – on appelle cela de la résilience, car nous serions des métaux, tout juste bons à être tapés et à revenir en place... Physiquement, on nous propose 20 000 solutions de ravalement de façade, pas de faiblesse, pas d’imperfection, car là, oui, pour le coup, on juge le moine à l’habit et donc le Bon, le Vrai au Beau plastifié/retouché, même si je ne suis pas sûre qu’on n’ait pas perdus à la transcription moderne.


Alors oui, je sais, l’idée c’est d’être en mouvement, de dépasser justement cette paralysie provoquée par l’angoisse intimement corellée à ce monde de fous. Et les coachs qui se certifient par milliers nous vendent tous plus ou moins la libération d’un potentiel optimisé et presque illimité en nous si seulement nous «décidons» d’être positifs... Ah ben merde, alors ! J’avais pas conscience qu’on pouvait en décider ! Et vos histoires de reprogrammation neuro-linguistique, vous m’avez bien regardé ? J’ai une gueule de logiciel, moi, pour qu’on me reprogramme ? Et vous, qui vous regardez tous les jours dans le miroir à vous infliger la méthode Coué en torture, vous vous regardez vraiment ? Juste un instant, un tout petit peu, sans projection fantasmée, sans dénigrement délirant, sans trop vous mentir, quand même, juste voir qui vous êtes et qui vous êtes devenus quand vous n’avez personne à impressionner.


Respirer, juste un instant et se reconcentrer, voilà, sur soi, sa petite musique intérieure. La vie n’est pas faite que de résilience, ça c’est la première étape, se réparer assez pour se relever. Mais les coups que l’on prend, notre connexion angoissée au monde et à l’autre nous affectent, bien sûr ! Et c’est heureux, non ? Qui veut vraiment n’avoir pas changé depuis ses 15 ans, 20 ans, 30 ans, etc. ? Qui n’apprécie pas de ne plus réagir aussi connement que cette fois-là, aussi méchamment que cet autre jour, aussi irresponsablement qu’en telle occasion... Et c’est toujours comme ça ! On voudrait l’expérience sans les traumas, on voudrait pouvoir tourner la page, c’est normal, mais ça ne marche pas, voilà. On doit digérer les traumas pour les dépasser et la personne de l’autre côté du miroir n’est pas la même, mais elle a appris, sur elle et sur le monde et c’est cela qu’être en vie.


Il n’y a que dans l’actualité que l’on peut zapper mais ce n’est pas plus sain que de vivre un trauma personnel et ne plus vouloir y penser. Et ce n’est pas de distraction mais d’équilibre intérieur dont nous avons besoin. C’est-à-dire justement la capacité à faire face sans perdre le désir, parce que s’il n’y a pas d’équivalence ou de besoin d’équilibrer «bon» et «mauvais» artificiellement, nous avons les ressources intérieures pour jouir malgré tout de l’existence – et d’ailleurs nous le faisons consciemment ou non. Et puis comment faire l’équilibre rationnellement quand on nous annonce l’apocalypse écologique ? Je veux dire, c’est un peu léger, non ? C’est la fin du monde et on va tous souffrir mais regardez comme dans tel bled, ils ont refleuri les rues avec des herbes comestibles, quelle bonne idée ! Pas étonnant que ces derniers temps, soit née une dernière pathologie à laquelle les labos souscrivent entièrement, l’angoisse écologique, tiens donc ! Et je ne vois vraiment pas en quoi ça nous aide à combattre la paralysie.


Par contre, se recentrer sur soi, respirer un bon coup et acter le monde pour mieux le vivre et agir, à tous les niveaux de notre existence, du plus intime - ces moments de partage avec sa famille et ses proches, au plus global – ces instants magiques ou tragiques où nous nous sentons portés par quelque chose de plus grand, ça, c’est essentiel et ça n’est pas futile et c’est valide et apaisant. Non, il ne s’agit pas de nous distraire, les gens. Pas de penser à des choses positives et avancer. Parce que quand on est au bord du gouffre, faire un grand pas en avant n’est pas la meilleure des idées. C’est se ronger la patte pour se libérer et ça nous laisse en sang. Ce qu’il faudrait, c’est se chercher soi-même et se trouver, d’une manière ou d’une autre, le plus en accord avec soi. Rejeter ce qui nous empoisonne – pas les mauvaises nouvelles, non, les compromissions que nous faisons avec elles, par peur et par conformisme, le plus souvent. Et alors là, peut-être la lumière naîtra, et nous aurons les outils pour faire que tout ce qui est en Bas soit en Haut, donc que notre mieux-être individuel puisse être vécu collectivement, autant que tout ce qui est en Haut est en Bas, et nous affecte individuellement. Virer la morale, le positivisme et la performance pour nous concentrer sur ce qui fonde notre Vrai, notre Bon, notre Beau, sans fards. Et s’y tenir en souplesse pour amortir le monde.

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