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QUI VEUT LA GUERRE PREPARE LA PAIX… D’APRES

Photo du rédacteur: Melanie Frerichs-CigliMelanie Frerichs-Cigli

Ce n’est pas parce que les politiciens mentent qu’il ne faut pas les écouter. En période de guerre, conscients de l’impact de leurs mots, ils y prennent garde, chacun est pesé dans un but et pour un propos propre. Et, à ce titre, il est vital de se pencher dessus.



Je voudrais revenir sur le discours de Macron devant l’OIT. Je sais, cela fait déjà quelques jours et tout le monde s’en est déjà amplement moqué, si tant est qu’on y ait prêté attention. Mais c’est une erreur, parce qu’il marque un tournant tellement frappant et clair, pour le coup tellement honnête qu’il mérite un décryptage presque mot par mot. Pourtant, il a fort peu été repris par la presse française, qui en a extrait quelques phrases et les a enterré assez vite, prenant une idée séparée du reste, quand la construction globale du discours est à comprendre en finesse. Le voici en totalité, je vous le recommande tant il annonce ce qui vient comme ce qui est en train de se passer. Et ce, que l’on soit français ou pas, que l’on aime ou pas le président Macron, sa femme ou sa politique : https://www.youtube.com/watch?v=iY9d6mrLZ7c


1 CE DISCOURS N’EST PAS POUR LES FRANCAIS


Vous remarquerez que cette vidéo est postée par RT France, Russia Today. Il ne s’agit pas d’un choix idéologique de ma part et d’ailleurs, cela ne change strictement rien aux images, qui sont les mêmes sur tous les médias du monde, puisque l’OIT, l’Organisation Internationale du Travail, qui fête son centenaire, a mis en place 4 caméras en pooling pour toutes les conférences principales et viré les caméras privées, hors celles amenées par certaines délégations sous très strictes conditions. En clair, tous les journalistes en faisant la demande avaient les mêmes images, en streaming puis en download gratuit, mais sur les médias français, on en a repris seulement quelques extraits quand RT s’est fait une gloire de publier le pooling complet, y compris le début non dérushé, histoire de démontrer sa neutralité journalistique. Et, même si le Twitter de l’Elysée a bien mis le discours du Président en streaming, il n’y a pas de retranscription totale disponible simplement. Cette remarque de forme m’amène à un premier point, primordial : ce discours n’est pas du tout destiné aux français. Et je ne veux pas dire par là que le Président tient un double langage, c’est considérablement plus subtil que ça. Il s’adresse à des groupes de pression qui ne sont ni les états, ni les peuples en soi, dans le but de fonder une alliance à un niveau tant intra que supra national.


2 CE DISCOURS N’EST PAS (tout à fait) A L’ONU


Alors, oui, de base, il est destiné à l’OIT. Mais il dépasse, du fait des sujets évoqués, de très loin le cadre d’une Organisation Internationale du Travail, qui, pour être très efficace et centenaire quand la plupart des gens croient qu’il ne s’agit que d’une enième officine de l’ONU (ce qu’elle n’est qu’à moitié), n’est pas la tribune la plus intuitive pour évoquer la guerre à venir ou faire un bilan civilisationnel. Mais, encore une fois, Macron s’adresse à ceux dont il pense qu’ils ont les moyens d’agir, et ce ne sont ni les organismes internationaux, ni les états.

Je m’explique : - Comme souvent, il entame son discours par une perspective historique très très personnelle (comme ne manquera pas de le souligner le rapporteur à la fin, que je vous conseille d’écouter aussi). Centenaire permettant, au détour d’une phrase, il rappelle que c’est au sein de l’OIT que la Société Des Nations s’est fondée. Puis, en 1944, que de nouveaux droits se sont constitués, grâce à l’OIT, visionnaire pour la Paix, qui ne peut passer «que par la justice sociale». Une manière de remettre l’ONU à sa juste place de looser, aux côtés de la SDN, même si l’ONU a repris le contrôle de l’OIT en 1946. - D’ailleurs, peu d’organisations internationales échappent à sa critique : Le FMI et l’OMC en prennent pour leur grade, tandis qu’il insiste sur l’impuissance des états à agir seuls. «Cette crise, elle est là et elle est en train de décomposer le consensus profond sur lequel la démocratie, le progrès et les libertés individuelles se sont bâtis depuis le XVIIIème siècle dans nos pays. […] C’est exactement ce qui est en train d’être bousculé par notre organisation collective sur le plan international.»


3 C’EST UN DISCOURS DE TEMPS DE GUERRE


… Et même, de rupture civilisationelle. Du début à la fin, le Président n’évoque que la guerre et les solutions à mettre en œuvre pour contrer «les dérives d’un capitalisme devenu fou». «La crise que nous vivons peut conduire à la guerre et à la désagrégation des démocraties. Tous ceux qui croient, sagement assis, confortablement repus, que ce sont des craintes qu'on agite se trompent, ce sont les mêmes qui se sont réveillés avec des gens qui semblaient inéligibles, ou sortis de l'Europe, alors qu'ils pensaient que ça n'adviendrait jamais».


4 ET ON VA SOUFFRIR NOTRE RACE


Sous couvert d’un bilan de «crise endogène du capitalisme», ce que dit réellement Macron, c’est qu’avant d’aller mieux, et d’ailleurs, ce pourquoi la guerre est non seulement inévitable mais nécessaire, au fond, c’est que ça va être pire, bien pire.

- «Ces 10 dernieres années, nous n’avons pas tiré les conséquences des crises que nous avons vécu. [...] Quelque chose ne fonctionne plus dans l’organisation de ce capitalisme, on doit tous le regarder en face, quand il ne profite qu’à quelques-uns et provoque des déséquilibres territoriaux qui fracturent TOUTES nos démocraties. Et ça ne touche plus uniquement quelques pays, les pays à la pointe du libéralisme le vivent, y compris ceux dont le PIB progresse le plus. Et donc, nous avons un système dont les progrès macro-économiques se construisent sur des déséquilibres micro-économiques et territoriaux. C’est ça, aujourd’hui, le monde dans lequel nous vivons.»

- Et encore : «Je ne veux plus que nous considérions que le sujet d'ajustement économique et de la dette prévaut sur les droits sociaux». Certes, au vu de la politique menée, cela paraît étrange, mais à côté de cela, il s’en explique très clairement à qui sait entendre. - «Il serait trop long de rappeler ici l’ensemble ce que l’on appelle parfois les acquis quand on se parle à nous-même et qui sont le fruit de tant de combats. Mais il est bon de se rappeler […] tout ce qui était considéré à l’époque comme acquis et qui a été remis en cause pour que le progrès se fasse.»

Y’a rien qui vous interpelle là-dedans ? Tous les acquis doivent être remis en cause pour que le progrès se fasse. Confirmation, plus loin, dans le discours, quand il parle des Gilets Jaunes : «Nous avons peut-être parfois construit des bonnes réponses trop loin de nos concitoyens en considérant qu'il y avait des sachants et des subissants. C'était une erreur fondamentale.» En clair, ceux qui sont informés de la situation réelle comprennent que c’est inévitable, tandis que les subissants n’ont jamais eu le choix. Eh, bon, on a manqué de diplomatie, vu qu’on essayait de préparer l’après crise. Pas franchement hyper démocrate, le commentaire, mais en revanche, d’une clareté cristalline : ça fait mal et c’est pas fini, loin de là.


Cependant, il y a une perspective d’avancée, de progrès… Après. Comme, retour en boucle sur l’histoire en fil rouge du discours, en 1919 et en 1944. «Et donc, comme en 19 ou en 44, nous sommes à l’orée d’un temps de guerre. Et cette guerre, elle est là dans nos démocraties.» Il ne s’agit pas là d’une erreur d’énonciation ou d’une imprécision historique coupable confondant le début et la fin des guerres, mais d’une formule de contraction de l’espérance : la guerre est non seulement inévitable, mais déjà là, partout, absolument mondiale, elle peut être totalement destructrice ou porter en son sein la solution pour le retour du progrès et de la démocratie, à condition qu’il y ait un réveil de conscience.


5 CE DISCOURS REDEFINIT LES CAMPS


… Et ce ne sont pas (seulement) les états qui les constituent. Je m’explique : pour qu’une guerre très réelle mais qui ne fait pas encore (trop) de victimes dans les pays dominants passe à la guerre totale sur le terrain, ce qui est inévitable à courte échéance désormais, il faut que les alliances soient formées de manière stable. Nous sommes dans l’entre-deux, la guerre a commencé, mais les négociations continuent et tout n’est pas encore tout à fait déterminé. C’est ce pourquoi ce discours de Macron est vital, car il définit les camps en présence. Il utilise l’expression «le monde libre», dans la continuité des termes de la guerre froide, et évoque ce qui caractérise pour lui l’espoir, le progrès, la civilisation, à savoir le libéralisme, mais refondé, car le capitalisme connaît une crise endogène, aggravée par la crise environnementale et le numérique. En face, bien sûr, le souverainisme et les populismes (extrême-droite, fanatiques religieux, partisans de la fermeture des frontières, etc.), qui sont conséquences de la crise mais ne la résoudront pas. - «Il nous faut considérer que ce sur quoi nous vivons depuis tant et tant de décennies a été perverti en son sein et qu’à cela s’ajoute deux grandes angoisses légitimes qui arrivent, la transformation numérique et la transformation environnementale et écologique.» - «Ces dernières décennies sont marqués par une crise profonde, économique, sociale, environnementale, politique et donc, civilisationelle, qui nous impose de réagir.»

Le problème, vous le voyez tout de suite, c’est que si l’analyse est correcte, au sens où le monde entier se trouve effectivement confronté au choix entre un libéral ultra-bright qui nous promet le bonheur pour peu que l’on accepte de perdre tous les droits que l’on croyait acquis et un quelconque souverainiste qui fait la même chose mais fait miroiter le protectionnisme contre le grand méchant extérieur, cette tendance est présente au sein même de chaque état. Dès lors, il est difficile de déterminer des camps territoriaux… Il le faudra pourtant pour qu’une guerre territoriale éclate. L’enjeu est donc pour le contrôle politique des états, via une nouvelle forme d’organisation supra-nationale à même de réguler efficacement la crise, afin de refonder le capitalisme sur une base plus sociale, tenant en prime compte des enjeux nouveaux, numériques et environnementaux.

On a donc (presque) enfin la réponse à notre question initiale : à qui s’adresse ce discours ? Aux vrais décideurs et à ceux qui ont potentiellement la légitimité de les fédérer en un seul camp, celui du Bien (forcément). - «L’OIT est cet endroit où la conscience a su se réveiller au moment où le chaos était là. Et je pense que le chaos est là.» - L’OIT a apporté «une méthode, dont nous avons sans doute beaucoup à apprendre pour nous-même, celle du dialogue tripartite. La réunion à parts égales des états, des représentants syndicaux, des organisations patronales, dans une seule et même instance. Ce double héritage de progrès et de méthode, il nous appartient collectivement aujourd’hui de le porter et de le faire vivre. » Ben oui, puisque l’OIT ne fédère pas seulement les états, mais justement est l’unique instance internationale régulatrice tripartite.


6 CE DISCOURS EST MODERNISTE


Voilà, les protagonistes du nouveau monde sont désignés. Si le pouvoir économique déconne, si le peuple tend au populisme par désespoir et peut faire basculer le monde, si les états sont impuissants et les organisations internationales inefficaces, c’est parce qu’elle ne sont pas encore assez multilatérales ; il faut maintenant du multilatéralisme intégré où les trois pouvoirs ne seraient plus le législatif, l’exécutif et le judiciaire, mais finalement l’économique, le social et le politique. Bon, l’idée n’est pas neuve et avait en d’autres temps aboutie à la création de la représentation du tiers-état, mais en pratique, dans le cas d’espèce, c’est primordial. Parce qu’on y revient, si le pouvoir économique représente une force de négociation en mesure de faire basculer un pays dans un camp ou l’autre, comment vont agir des groupes tout à fait indépendants des états mais stratégiques comme Bayer-Monsanto (entre Europe et Etats-Unis, états rivaux à presque tous points de vue) Arcelor-Mittal (Entre Europe et Inde), etc. ? D’ailleurs, les actes de guerre les plus violents, donnant lieu à démonstration de patriotisme collectif, sont économiques, comme Huawei. Il faut donc les fédérer idéologiquement, derrière une banière commune pouvant abriter les désirs légitimes des peuples à (sur)vivre comme ceux de ceux qui tiennent le monde. Macron s’adresse donc à ceux qui pourraient porter un projet collectif plus social pour se dresser contre un basculement idéologique provoqué par l’économique, et ainsi, mettre le plus de chances du côté de son camp, le libéralisme, contre les ennemis territoriaux de demain, les souverainistes. A savoir les instances législatives et normatives internationales pas encore discréditées, les puissances économiques «qui n’écoutent pas» dit-il, à Davos et certains politiques, mais pas beaucoup.

D’ailleurs, chose remarquable, il ne cite que des femmes politiques, forcément héritières de l’élargissement des droits politiques de la modernité, donc porteuses «naturelles», si je puis dire, du projet libéral. Ainsi se définit l’essence du camp du Bien, ceux qui veulent « la démocratie avancée, avec les libertés individuelles, l’économie sociale de marché et des équilibres où chacun trouvait sa part de progrès». On voit bien que l’Amérique de Trump ne fait pas partie de son camp, par contre, celle d’Obama, oui. A l’orée de multiples échéances électorales au coeur des plus grandes puissances et sachant la guerre sur le point de faire physiquement des victimes, c’est primordial de comprendre que d’autres états pourraient ainsi basculer. Et, puisque les états seuls ne sont plus porteurs de l’entière souveraineté, il faut, pour répondre au péril actuel, que la solution passe par plus d’accords tripartites qui les obligeraient car ils refonderaient le contrat social absolument détruit par la crise. «Au fond, la crise endogène de notre capitalisme, l’accélération de la transition numérique, l’accélération du réchauffement climatique et la raréfaction de la biodiversité nous conduisent à repenser très profondément nos manières de nous organiser et rendent encore plus impérieux le multilatéralisme qui est le vôtre, qui est le nôtre.» Ainsi Macron va-t-il soulignant le moment historique de la signature d’accords tripartites au G7 Travail, espérant qu’il y en ait d’autres au prochain G7 fin août, que la France préside.


7 CE DISCOURS SE VEUT PORTEUR D’ESPOIR


Mais alors, si Macron va présider le G7, qu’il fait tant pour devancer les effets de la crise, qu’il a la solution à la décadence civilisationnelle et qu’il voit déjà les progrès de l’après-guerre du Bien contre le Mal, avec une vraie justice sociale et environnementale, pourquoi ne met-il pas en œuvre chez lui ce qu’il prône pour le monde ? Une question qu’il évacue très rapidement, mais aussi très sincèrement, en une phrase qui dit absolument tout et n’a été repris nul part : « Je crois simplement que cette transformation profonde du modèle économique, social, productif, civilisationnel que je viens de décrire, il ne se fait pas dans un seul pays. Aussi vrai que le XXème siècle a montré que le socialisme en un seul pays ne fonctionnait pas, bah, la lutte contre les inégalités du capitalisme international ou la lutte pour l’écologie, ça ne marche pas dans un seul pays. C’est pas vrai. On peut l’essayer, ça crée une chose, ça crée le recul économique. Ça réduit les opportunités et ça vous permet de moins bien aborder les choses.»


8 RESUMONS


1. Le modèle politique d’état-nation adossé au capitalisme se casse la margoulette et détruit le monde. On commence déjà à en chier niveau démocratie et économie. 2. En plus, transition numérique et écologique, donc chaos assuré. On va vraiment en chier à tous points de vue. 3. Ça provoque une crise civilisationnelle et produit des souverainistes et des protectionistes, quand au contraire, on devrait avoir compris que le monde entier était connecté sans retour en arrière. Et ça, c’est la guerre assurée et si on déconne trop, les peuples de nos pays mêmes vont choisir le mauvais camp. Bref, on va en chier. 4. D’ailleurs, on ne le dit pas, mais elle est déjà là, la guerre. Pensons à l’après-guerre, comme en 19 et en 44. Bon, évidemment, dans l’intervalle, on va en chier. 5. C’est pas désespéré : on a même une chance de réaliser un monde plus juste. Mais si je n’avais pas été assez clair, pour ça, va falloir en chier. En commençant par perdre tous nos acquis. De toute façon, avant la résolution de crise, y’aura pas assez de gens pour qu’on soit plein à tenter le coup de changer tout et tout seul, ben je ne ferais rien. Et je suis pas le pire, au moins je dis les choses, donc rejoignez-moi, j’ai les mêmes valeurs à la maison.


Oui, le président Macron dit les choses. Je n’adhère pas à tout, mais c’est un grand discours, qui «dit», effectivement, tout ce qu’il pense d’une situation dont nous savons tous qu’elle est sur le point de rupture. C’est la voix d’un des deux camps, le libéralisme. C’est donc «le monde libre» que l’on vendra à certains d’entre nous, quand d’autres entendront parler du «capitalisme prédateur» de cet «occident dégénéré». Et c’est au nom de ces valeurs que des millions de gens vont crever, pour relancer une économie, un système politique et social moribonds. Et peut-être bien que c’est porteur d’espoir, que la crise - donc la guerre et le chaos, sont inévitables et qu’il faut changer d’air, parce qu’on ne respire plus.


Mais fondamentalement, à la fin, si l’humanité survit à ses conneries, qu’aurons-nous appris collectivement ? Essentiellement que l’on peut diriger le monde sans le peuple, même si idéalement pour le peuple, qu’elle qu’en soit l’acception qu’on en fait. Et je vais vous dire, la seule arme dont nous disposions contre cela est l’intelligence et la créativité, celles-là même dont on veut nous voir de plus en plus dépourvus. Alors je sais, mon post est long et il n’est pas sur le sujet du jour. Peu de gens le liront jusqu’au bout et beaucoup espèrent me suivre plus simplement, en podcast ou en vidéo. J’y viens, j’arrive ! Mais dans l’intervalle, lisons plus, écrivons plus, pensons plus, échangeons plus, faisons plus d’efforts contre la distraction ! La guerre, on ne l’évitera pas. Mais que l’on veuille nous réduire à une forme de tiers-état démocratique ou à une notion vague à qui l’on fait dire surtout des conneries, genre «le peuple», il n’en reste pas moins que notre pensée peut faire le monde d’après. Ne l’oublions pas, dans nos angoisses d’impuissance.

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