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Pôles positions

Photo du rédacteur: Melanie Frerichs-CigliMelanie Frerichs-Cigli

Dernière mise à jour : 21 août 2021

Musique de fin : "War Pigs"- Black Sabbath - Tous Droits Réservés

Licence d’exploitation LE-0017854


La dernière blague de l’arène politique, n’est-ce pas, c’est Trump, vexado, qui refuse d’aller effectuer sa visite officielle au Danemark, après que l’on ait traité par le mépris sa tentative de rachat du Groënland… Sauf que ce n’est pas franchement une blague et que ça met en lumière encore un peu plus à quel point la guerre qui vient est d’abord territoriale et impérialiste par nature.

Alors, c’est une considération qui peut a priori prendre au dépourvu, d’où le ton de blague, tant le monde a connu de morcellements de territoires un peu partout sur la planète depuis l’effondrement de l’URSS, que ce soit évidemment en Europe, mais aussi en Afrique, où les guerres territoriales étaient essentiellement civiles et pouvaient mener à partition. De même, dans les pays «développés», la mise en place de structures supranationales a poussé à une délégitimation progressive de l’état, au profit de l’idée d’une gouvernance de principe neutre, caractérisée par la «transparence», exécutée par des instances locales seules à même de comprendre les spécificités régionales. Dès lors, multiplication des revendications d’autonomie régionale, voire d’indépendance... Le Groënland entre d’ailleurs dans cette case, qui bénéficie de structures d’autonomie de plus en plus poussées vis-à-vis du Dannemark, assurant à la population locale, assez réduite, un meilleur contrôle sur ses ressources et son avenir politique. On aurait donc pu penser que les velléités d’expansionisme direct était limitées par la mondialisation et que la dissolution provoquée en grande partie par cette victoire du libéralisme sur le bloc de l’Est était plus ou moins définitive.


Néanmoins, depuis au moins le Printemps Arabe, un parfum de guerre froide réveille un peu tout le monde, ou tout du moins le grand public. Bien sûr, la Crimée, avec Poutine a signé le retour clair de la guerre territoriale d’expansion. Mais même la résistance turque aux plans des alliés durant la guerre de Syrie, le soft power que la Turquie déploie vis-à-vis du monde arabe, imposant une vision d’un Empire Ottoman fier et peut-être encore plus puissant que l’Europe dont il a presque fait son jouet, n’est-ce pas, a de quoi interpeller… Et la Chine, dont on voit à quel point ses désirs de réunification totale avec Hong-Kong, mais aussi Taïwan peuvent la mener loin, tandis qu’elle n’est pas prête de lâcher les îles qu’elle conteste au Japon… Lequel, de son côté, renonce à sa constitution pacifique et se réarme à toute vitesse. Les Etats-Unis, qui se referment sur eux-mêmes tout en voulant déployer leur puissance militaire partout, les Corées qui se rapprochent, La Grande-Bretagne, qui Brexit, etc. Oui, le souverainisme revient en maître et avec lui, les contestations territoriales expansionistes. D’ailleurs, dans tous les pays, le paysage politique est de nouveau fagocité par la bataille idéologique entre conservatisme souverainiste et libéralisme impérialiste par nature et voie d’économie.


Et à ce jeu, la Russie, le plus grand pays du monde et même le plus grand d’Europe si l’on ne considère que ses 25 % de territoire effectivement européens ET non contestés, est une très grande puissance tant Poutine a signé son retour sur la scène mondiale avec une force à faire bander tous les autres chefs d’état, imitateurs ou opposants.

Et c’est là, entre autre, que la question du Pôle Nord devient révélatrice et essentielle. Pendant longtemps, comme pour le Pôle Sud, tout le monde avait plus ou moins mis ses revendications au frigo, puisque tout était gelé. Ben oui, le Pôle Sud, l’antartique, est un continent assez riche et disputé par plusieurs puissances pas forcément voisines, d’ailleurs, comme la France, sur un principe colonial et en l’absence d’autochtones. Mais tout cela reste malgré tout assez civil, sur la base d’un accord international faisant de la zone une réserve naturelle et scientifique co-administrée. Certes, je parierai qu’au moins la moitié des bases scientifiques sont en réalité militaires, car les pôles sont stratégiques en terme d’accès à l’espace et donc de défense comme d’attaque, de télécommunication, etc... mais bon… Disons que c’est assez cool et que la question a été mise de côté jusqu’au milieu du XXIème siècle, a priori.


Jusqu’à il y a peu, la même bonhomie présidait aux relations internationales au pôle Nord, où beaucoup de missions scientifiques pluri-étatiques font des merveilles, où les états ayant une revendication maritime, s’entendaient plutôt bien, malgré de nombreuses contestations territoriales mineures, aux alentours du cercle polaire. Oui, parce que le Pôle Nord, ce n’est que de la glace, et pourtant, on y trouve des autochtones, tout du moins sur les territoires émergés alentours, dont le Groënland, la Russie, l’Alaska, la Norvège et le Canada. Personne ne peut donc revendiquer clairement le Pôle, d’autant que les Nations frontalières reconnaissent le droit maritime international qui détermine assez clairement les limites d’influence des états en pleine mer : 200 miles nautiques des côtes pour les eaux territoriales, puis 150 pour les zone d’exploitation économique exclusive.


Cependant, le réchauffement climatique change considérablement la donne. Et ce qui n’était, pour chaque état concerné, qu’une perspective lointaine de ressources, sur laquelle ne pas lâcher la main (mais bon, on n’est pas pressés, temporisons en prenant X ou X résolution plus ou moins Bisounours sur l’environnement), devient une priorité absolue. La course a commencé dès le début des années 2000, quand de nouvelles explorations des fonds marins ont permis de distinguer une dorsale dite de Lomonossov, sorte de montagne sous-marine, qui relançait la revendication du contrôle du pôle, car la Russie y voit l’extension de son plateau continental, qui rejoint alors le Groënland… Mais même sans le pôle en lui-même, la Russie a en mer arctique sa plus grande frontière, et un territoire auquel elle seule pouvait simplement accéder, hormis deux trois peuples nomades sans importance… Un territoire qu’elle contrôle bien et exploite depuis longtemps. On y trouvait déjà quelques villes et ports stratégiques à l’époque de la guerre froide, c’est dire ! Et voilà que la fonte des glaces permet non seulement d’accéder à dénormes richesses jusque-là inaccessibles – on estime que 30 % des réserves en énergie fossile de la planète seraient submergées en Arctique, mais qu’en plus, une nouvelle route commerciale, reliant directement Europe et Asie sans contourner l’Afrique s’ouvre, au moins l’été, qui permet d’économiser 40 % de temps de trajet, puisque c’est une ligne droite, et autant de carburant. C’est donc un enjeu considérable, qui renforce immensément les relations entre Chine et Russie, car la Chine est le premier client du gaz arctique russe, lequel représente 80 % de la production nationale.


En dehors même de la fonte des glaces sur le pôle en lui-même, les terres qui l’entourent, donc le Canada, la Russie, la Norvège, les Etats-Unis et le Danemark sont désormais plus facilement exploitables, car les températures deviennent presque clémentes. Et, ce qui est un désastre écologique est aussi une opportunité économique et stratégique de premier plan. C’est pour cela que l’on a vu brûler l’Alaska, le Canada et la Sibérie tout cet été, de la même manière qu’on voit brûler l’Amazonie en ce moment : oui, y’a sans doute des accidents, peut-être même des causes naturelles, mais enfin, quel meilleur moyen pour défricher rapidos une terre que de la brûler ? 7 millions d’hectares and counting, tout d’un coup, en quoi, 2 mois ? Radical et pas contestable, après, vous êtes tranquille. Je subodore donc que certaines fumées de ces feux, outre leurs vertus asphyxiante et obscurcissante jusqu’à Sao Paulo, ne sentent pas bon du tout la combine.


Mais même sans se laisser aller à spéculer, un simple calcul permet de comprendre à quel point c’est essentiel, cette affaire. D’après Fabien Carlet, de l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques, les exploitations d’hydrocarbures en arctique représente 46 % du budget de l’état russe, 2/3 de ses entrées en devise étrangère, 80 % de ses exportations de gaz -je l’avais déjà dit, 20 % de ses exportations de pétrole, plus du cobalt, du nickel, etc. Mais aussi 16 ports rénovés ou nouvellement fondés sur toute la côte, des aéroports réouverts, de grosses villes industrielles et… 50 000 militaires russes, 9 académies de cadets, bref, un vrai arsenal, pointé sur… Bah techniquement, de là-bas, la terre entière, pole position oblige. Un avantage stratégique que la Russie a toujours eu, certes à l’instar de ses petits camarades, mais qu’elle ne saurait concéder à personne de plus, alors que les chinois eux aussi sont gourmands, sans compter tout un tas d’autres états a priori pas du tout limitrophes ni concernés, qui pourtant rôdent en observateurs. Et puis, pour la première fois de l’histoire de la Russie, un débarquement en été serait possible sur sa côte arctique.


Trump aussi se réarme, qui s’est commandé plein de bateaux pour 2022. Néanmoins, de l’Alaska, les Etats-Unis ne peuvent pas rivaliser avec la Russie ; et son rapprochement géographique de la Chine, son indépendance potentielle du canal de Suez et du Détroit de Beihring sont de nature à menacer ses intérêts, car la taille même de ce géant exige de l’isoler aussi bien de l’Asie que de l’Europe pour espérer le contrôler. Le Groënland, en revanche, pourrait bien formellement contester avec succès les revendications russes et c’est une magnifique réserve de ressource, en plus d’être une base militaire convoitable. Et puis, cela finirait de lier l’Europe aux Etats-Unis en un axe du Bien clair, ce qui permettrait enfin d’espérer réussir cette fameuse tactique d’isolement de la Russie.


Ce n’est donc ni une lubie, ni d’ailleurs même une nouveauté, cette proposition de rachat du Groënland. C’est au moins la troisième fois officiellement que les Etats-Unis font une telle offre depuis le XIXème siècle. Néanmoins, c’est la première fois qu’elle revêt un caractère d’opportunité si clair. Et l’on sait, que, malgré les apparences pour le moment conservées de la civilité, ça va barder dans les années à venir. Or la Russie n’a pas l’air d’avoir peur. Et pendant que les exercices de l’OTAN pilotés par la Norvège se multiplient dans la région, censés mettre un frein aux ambitions de Poutine, lui, flegmatiquement, va planter via sous-marin nucléaire, son drapeau exactement au pôle Nord. Sans se priver par ailleurs de continuer les affaires avec tout le monde, hyper arrangeant avec les voisins européens et asiatiques, pour mieux court-circuiter les appétits externes. Ben oui, carotte, bâton nucléaire et symbolisme, il est semblable à son style de toujours… Et si le Danemark semble réagir avec désinvolte à la proposition de Trump, pour mieux tourner en dérision un tel retour de tension, je ne serais pas du tout surprise que le pôle nord soit en réalité et au moins au niveau militaire, le point le plus chaud de la planète... Ad minima sera-t-il une vraie discussion au futur G7, que Poutine en forme le huitième officiellement ou que ses oreilles en bourdonnent.

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