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Mea maxima coincée

Photo du rédacteur: Melanie Frerichs-CigliMelanie Frerichs-Cigli

Dernière mise à jour : 21 août 2021

Musique de fin : « Foule Sentimentale » Sauvage - Tous Droits Réservés

Licence d’exploitation LE-0017854


Bon, je ne vous le cache pas, dans les semaines qui viennent, forcément, on va beaucoup parler politique. D’ici 4 jours, le G7 va commencer et le bal des rencontres et des discussions est très sérieusement entamé, et c’est important, quoi que les titres des journaux aient pu vous donner à penser quant aux fanfaronnades des uns et des autres face caméra. Mais d’ici que notre rentrée soit contrainte d’être sérieuse, faudrait quand même faire le point sur cet été qu’on vient de vivre.

Une chose me frappe particulièrement : ça a été l’été de la culpabilité et de la contrition. Tous tête baissée devant la grande petite fille Greta Thunberg, qui va à New York en bateau à voile, la chanceuse, quand tant de journalistes seront contraints de porter l’opprobre de prendre l’avion pour aller couvrir son arrivée ! J’ai l’air de me moquer – et ça en rappelle d’autres ? Oui, une en particulier, que je remercie pour cette tendre et très réaliste pique. Mais, plus sérieusement, tant et tant de gens se sont rués sur elle pour mieux la dépecer ! Parfois avec distance – c’était les plus drôles, parfois avec une hargne qu’on n’explique que par l’état de décrépitude intérieure comme extérieure d’un vieux philosophe qui ferait mieux, parfois, de se rappeler qu’il a été jeune.


Et en même temps, qui ne s’est pas senti un peu agressé par tant de certitudes vertueuses, assenées en autant de couperets sur nos choix, notre mode de vie et bien sûr, notre chappe d’impuissance à changer ? Et c’est au mieux en bougonnant que les plus honnêtes intellectuellement reconnaissent que, certes, elle a raison, Mais bon, hein ! Car le miroir que Greta nous tend n’est pas flatteur et nous admettons implicitement que son reflet est vrai – ou nous nous révoltons. Dans les deux cas, de l’agressivité en ressort, forcément, car nous vivons Greta comme une double contrainte atroce : elle est l’enfance et la voix de la pureté. A ce titre, beaucoup admirent à juste raison son courage, sa capacité à dire, qui est merveilleuse et qui mobilise l’intelligence, l’émotion et l’attention. Chaque geste d’elle, pesé, devient symbolique et objet d’iconographie. Et la distance de ses traits neutres, qui font horreur à notre ami rabougri, met encore plus l’accent sur l’objectivité de ses propos et les transforment en Vérité.


Mais est-ce bien exactement le cas ? Comprenez-moi bien : l’argument n’est pas de taper sur Greta, qui, de son point de vue a parfaitement raison, bien entendu. Et de fait, objectivement, tout ce qu’elle dénonce est dénonçable, ce qu’elle préconise apparaît raisonnable, son interpellation aux politiques, nécessaire, etc. Ni de dire qu’elle est manipulée, parce que qui ne l’est pas, dès lors qu’il entre dans l’arène médiatique ? Non, simplement, la vérité est parfois moins manichéenne que nos solutions d’adolescence ne nous poussent à la croire, tout bêtement.


Elle dénonce la destruction de la nature – et qui ne déplorerait pas avec elle la disparition des abeilles ou des ours polaires ? Enfin, à part quelques crétins, sur qui haro tombe aussitôt qu’innocemment, ils se font gauller avec une photo de safari ou un tweet stupide et éméché, mais ça, c’est pour mieux mobiliser la morale publique : nous, on est des gens biens, on pleure à la mort de la mère de Bambi ! Et on like toutes les vidéos Brut Nature et autres qui nous présentent des gens qui ont fabriqué leur maison avec trois briques de boue séchée et vivent de groseilles. Et ouais, ça a l’air vachement chouette, leur mode de vie, jusqu’à ce que t’essaye de faire du camping chez mamie et que y’ait des sortes de puces bizarres qui te bouffent les mollets. Bien sûr, je caricature, et les choix de certains de se retirer d’une société de plus en plus aberrante - que je comprends au point de m’être expatriée dans le pays le plus écolo de la planète en apparence (mais on reviendra sur les petits arrangements avec le Réel du Costa Rica un autre jour), et le désarroi du citadin face à la cambrousse… Encore que pas tant que cela non plus. Faut pas se leurrer, l’exode rural a fait de nous tous - ou en tout cas de l’immense majorité de la sphère développée, des chochottes de l’insecte, des dépourvus d’orientation naturelle, des handicapés de la marche en forêt. Parce qu’en fait, on pourrait appeler le développement Décorellation d’avec la Nature, ça serait pompeux à souhait, mais vrai.


Donc la Nature, un mode de vie sain, une vraie reconnexion avec soi… Ouah ! Le rêve qu’on nous vend ! C’est juste à portée de main, entre un cours de yoga et un smoothie étrange à l’extracteur de jus, que tu ne savais pas qu’on pouvait en sortir autant du persil. Mais même cela n’est pas assez radical, il faudrait encore plus et on s’épuise à essayer d’être parfait tout en n’ayant pas d’autre choix raisonnable que de prendre la voiture quand il le faut, acheter des vêtements et si possible pas chers, même si ça exploite des enfants, parce que c’est comme ça, tu ne saurais même plus faire autrement. Ils sont où, les tailleurs d’antant, de toute façon ? Et qui peut payer très cher des t-shirts bio équitables et locaux (ha ! Du coton «local» à Paris ! C’tte arnaque!) à chaque fois que le petit dernier gagne un centimètre ? Et puis faut pas rêver, tout le monde n’a pas la tête à réfléchir à l’empreinte carbonne des 15 jours qu’il prend dans l’année pour se détendre. C’est un luxe – ou en tout cas, un produit de luxe, qui se développe bien dans le secteur touristique. Et où qu’on tourne la tête - c’en est vertigineux, toutes nos bonnes intentions, même les plus irréalistes, se transforment en produits. Si par malheur, vous regardez distraitement une page pro-végan sur Facebook, vous voilà bombarbé de pubs pour un t-shirt trop craquant avec une licorne évidemment végane – ou un chat, bien que ce soit déjà plus étrange, qui dit un truc spirituel, c’est effarant ! Tout a son marché, même l’anticonsumérisme.


Et c’est pour ça que c’est intenable, les certitudes à la Greta. Ses conditions d’existence ne sont pas les nôtres, et ce qu’elle vit n’est pas nécessairement reproductible. Mais le devrions-nous vraiment pour arrêter la spirale infernale qu’elle décrit ? Est-ce réellement la surconsommation, le problème, ou serait-ce plutôt la surproduction ? Parce que techniquement, l’un des à-côté que l’on déplore le plus dans la surconsommation, c’est le gaspillage et l’emballement de la consommation. Mais est-elle avérée, cette surconsommation ? Certes, nous achetons plus… Mais parce que ça dure moins longtemps ! Qui a réellement envie de changer de smartphone chaque année, hormi deux ou trois péquenots en mal de compensation et un ou deux geeks absolus ? Certes, nous aimons souvent changer de vêtements, mais pas au point qu’il soit nécessaire d’avoir 52 collections par année, produites en des millions d’exemplaires jetés d’une semaine sur l’autre parce que la nouvelle arrive ! D’ailleurs, ça devient pénible, cette habitude de ne jamais proposer des vêtements adaptés au climat, parce que la nouvelle saison a 6 mois d’avance qu’elle est déjà has-been. Et un calcul très complexe que nos grands-parents se seraient probablement fadés en primaire permettrait de voir exactement combien de mes bains voluptueux seraient nécessaires pour faire de moi une gaspilleuse pire que le chantier d’en face, à Casa, qui semblait ne pas savoir qu’il y a des vannes que l’on peut fermer, pour que l’eau ne coule pas comme ça, pendant des mois.


Qui a décidé que c’est nous qui devions culpabiliser quand des marchands de rêve détruisent la planète, au prétexte de nous offrir ce qu’on veut ? Qui a donné ce blanc-seing moral et total aux grosses entreprises de faire ce qui leur plaît, tant qu’on ne les coince pas d’une loi de moins en moins applicable en libéralisme mondialisé ? Qui a décidé que ces «entités morales» au regard de la Loi, qui peuvent nous donner des clauses de conscience, De conscience, les multinationales, vraiment ! Qui peuvent financer des campagnes électorales, se parer de vertu en défiscalisant de la bonne action dégoulinante, qui a décidé que eux, non seulement étaient le modèle de l’efficacité, des stars qu’il faut chouchouter car de leur humeur dépendent les revenus de l’état et les emplois des provinces, mais en plus en mesure de se laver les mains de ce qu’ils font – PARCE QUE MOI, OU UN AUTRE, OU COLLECTIVEMENT LEUR DEMANDERIONS DE COUPER DES TOMATES EN RONDELLES SOUS VIDE ?!? On se moque de qui ? Oui, le monde va mal, oui, certains pays surconsomment quand d’autres crèvent la dalle. Mais c’est parce que ce que l’on produit ne va pas aux besoins, il va au pognon. Et il est plus rentable de produire trop et de jeter que de ne pas produire ou de donner… Même si ce sont les échanges fiduciaires qui génèrent les revenus et non plus les produits en eux-mêmes. La grande arnaque, c’est ça : parce que nous faisons partie du système qui déconne, nous serions au même titre responsables que ceux qui en bénéficient et l’alimentent. Non !


Le problème, le vrai, c’est qu’il n’est même pas difficile, en l’état actuel de la science, de la technologie et de l’invention, d’imaginer un monde où chacun pourrait disposer du nécessaire à une vie digne. Sauf que ce n’est pas rentable, alors il n’est pas raisonnable d’en rêver, n’est-ce pas ? Bien sûr, l’homme restera toujours homme, solidaire jusqu’à ce qu’il s’agisse de savoir qui pisse le plus loin. Mais bon, là, quand même, il semble qu’il ne soit plus rentable non plus juste qu’on vive à peu près en harmonie, sans trop de stress ou de double contrainte, même quand on fait partie des privilégiés... Vous croyez qu’on peut quand même un peu se poser des questions ?

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