Les 6 & 7 décembre dernier, à Essaouira puis Marrakech, j'ai eu l'honneur de modérer deux conférences-débats autour de l'épineuse question de la Raison et de la Foi au XXIème siècle. Mes invités étaient Edgar Morin, philosophe auteur de la notion de pensée complexe (qui malheureusement n'a pas pu venir mais a écrit un texte exceptionnel que j'ai l'autorisation de reproduire ici); Ghaleb Bencheikh, islamologue & physicien, président du Chapitre Français de la Conférence Mondiale des Religions pour la Paix, président de la Fondation de l'Islam de France; Hassan Aourid, politologue et Mohamed Maouhoub, professeur chercheur en philosophie.
Devant un énoncé de philo, il faut commencer par définir les termes.
Aujourd'hui, sur cette terre, il y a 38 000 Dieux. C'est donc que la foi est essentielle, et ce même si considère qu'elle ne relève que du champ du divin. Mais pourquoi ne pourrait-on pas avoir foi en l'homme, en la science, en l'amour, en une idée, voire en une idéologie ?
Quant à la raison, le monde entier est régi par sa logique et ce n'est pas en priant, mais en exerçant sa raison qu'on a pu envoyer des satellites et même des hommes dans l'espace.
Seulement que faire de ces deux nécessaires, foi ET raison ? Comment les combiner, faut-il les hiérarchiser, les confronter ? Et que faire de leurs dérives ? L'extrémisme religieux ou idéologique est une plaie pour le monde, qui divise et qui tue. Mais le scientisme, enfant tordu de la science et de la technocratie, c'est à dire le point d'aberration où la raison perd les pédales, oublie toute autre finalité qu'elle même jusqu'à marginaliser l'homme dans sa propre pensée, anéantir la terre et ses ressources, bref, nous condamner à l'anomie, n'est-elle pas la pire des foi(s) possibles ?
Il reste un troisième terme à l'énoncé : au XXIème siècle. Non, je ne l'ai ni oublié, ni réduit à un simple présent, il est crucial. C'est certes l'énoncé du présent mais dans le cadre du calendrier grégorien, c'est à dire chrétien. Et pourtant, même ici, en terre d'islam, il est plus apte à signifier l'étendu et le présent du sujet, car il dit la mondialisation et pose la question de l'universel.
Ou l'inverse : peut-on encore penser foi et raison dans son coin ? Peut-on faire sens du monde globalisé à partir de sa spécificité culturelle, anthropologique, historique et y définir une identité, qui sépare sans finir par se heurter à l'autre ? La foi et la raison traditionnelles, toutes ces articulations de sens, ces 38 000 Dieux et ces ambitions transhumanistes sont elles vouées à se dissoudre en chaos acculturant, folklorisé, presque nihiliste à force de relativisme ?
"Dieu est mort", disait Nietzsche qui ne s'en remettait pas, à l'époque où l'on pensait que l'univers n'était qu'une équation dont il suffisait de calculer les inconnues.
"Nietzsche est mort, signé Dieu" proclamaient les murs de Paris en mai 68, quand la seule chose sérieuse était de choisir son camp, camarade !
"Dieu est mort, Marx est mort et moi-même, je ne me sens pas très bien" disait Woody Allen et je crois qu'on en est toujours là.
Mais heureusement, ces questions-là, nous ne sommes pas tout seuls à nous les poser et nous avons toute l'épaisseur de l'histoire des idées, toute l'étendue de la pensée humaine contemporaine, multiple, pour la réfléchir et peut-être passer du dépassement de l'homme confronté au compliqué d'un réel intraduisible et hors-sens au complexe, plus souple, plus humble, plus ouvert.
Mais c'est là que je dois céder la place. Mon rôle de naïve est terminé, ou presque, et je m'efface devant ceux qui détiennent une partie des réponses qui ont déjà été formulées, celles qu'ils défendent, ont développé. Bien sûr, aucune ne saurait être définitive, ce sont des hypothèses et finalement, d'autres questions encore... Avant que vous, à votre tour, vous ne vous empariez du débat, pour la penser ensemble, cette question, avec nos conférenciers.
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