Chronique radiophonique du 01/10/2018 dans les #MatinsLuxe, sur Luxe Radio
Ce week-end, comme vous tous, je suppose, j’ai regardé les réseaux sociaux flamber, reflétant la colère des marocains, à Tétouan, à Sidi Ifni emportée par les eaux, à Ain Sbaâ.
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J’ai regardé une jeune fille se dévoiler par dégoût politique et prôner rien moins qu’une ségrégation stricte entre élite et peuple, les deux ayant certes le droit de vivre, mais vraiment pas le même monde. J’ai vu de nouveaux «médias» online, si l’on peut les appeler ainsi, mettre de l’huile sur des feux de moins en moins éparses, un jeune homme un sabre à la main dans mon quartier et le corps sans vie d’un accidenté qui viendra gonfler les statistiques de ce fichu dimanche soir de canicule.
J’ai vu tout cela avec un sentiment d’irréalité délirant. C’est que j’étais à l’ombre d’une tazota centenaire, bercée par la bienveillance d’une dame qui reçoit ses invités comme ses petits enfants et soigne la rage de dents à coups d’infusions d’origan et de clous de girofle. Son tagine et son pain ont le goût de toujours et des produits non traités. Et c’est si près ! Si près qu’on peut y aller de Casa presque plus vite qu’à Rabat mais Casa, sa violence et ses désespérés, ça pourrait bien être à des années lumière de Mi LHaja et de sa tazota. Que s’est-il passé ?
Les marocains ne sont pas des gens violents. Naturellement, leur kif est pacifique, avec ou sans fumée. Le pays lui-même ? Une merveille de richesse, de plantes, de poissons et de fruits. Une terre d’abondance et de beauté, dont la diversité, du nord au sud, n’a réellement d’égal que la générosité. Une terre stratégiquement placée, entre Afrique et Europe, un carrefour, d’influences, de commerce et de possibilités. En 1903, une caricature dépeignant le Maroc en proie aux convoitises des grandes puissances le montrait comme un lapin que chacun tirait à soi par une patte. Je me demande, alors que le chaos s’installe parmi des habitants de plus en plus démunis face au destin, si, encore une fois, nous ne serions pas tirés à hue et à dia par bien plus gros que nous. Sur le plan géostratégique, c’est presque une évidence, entre France, Espagne, États-Unis et puis le Moyen-Orient.
Mais c’est en interne que nous sommes écartelés. Les raisins de la colère marocaine sont bien connus et surtout pas si nouveaux. Pourtant à voir les sabres débouler dans nos rues, on ne peut s’empêcher de se demander : quel caïd ne sait pas ce qui circule dans son quartier et qui fabrique quoi ? Aucun, que je sache, alors alech ? À voir certaines vidéos de propagande faire campagne en Europe au nom des libertés individuelles, on s’interroge : d’où vient l’argent et pourquoi ? Toutes les théories du complot circulent de nos jours et ça se comprend, puisque plus rien d’autre n’est clair (n’éclaire). Je souhaite quant à moi qu’une parole libérée ne se métamorphose pas en catharsis généralisée et délétère. On tend à oublier que ce genre de choses s’accompagne toujours de sacrifices sanglants. Nos traditions d’Achoura ne sont normalement pas si violentes, après tout.
Follow the white rabbit, d’accord, mais ne le soyons pas. Le seul lapin marocain dont je veux entendre parler au XXIème siècle est à l’huile d’argan, il sent bon les traditions et l’apaisement. Il tend à disparaître.
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