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Le bal des malentendants

Photo du rédacteur: Melanie Frerichs-CigliMelanie Frerichs-Cigli

Chronique radiophonique du 10/11/17 dans les #MatinsLuxe sur Luxe Radio.

Hier soir, j'avais l'honneur de présenter Bahaa Trabelsi dans un de mes cafés littéraires et Bahaa, c'est une femme exceptionnelle, qui dit avec courage ses convictions. Cependant, comme elle le fait de manière tranchée, il arrive plus souvent qu'à son tour qu'elle soit mal comprise et qu'on prenne ce qu'elle dit pour une critique ou bien une prise de position hostile et c'est dommage. Car l'opposition à un concept n'est pas forcément agression de ceux qui le portent, mais comme toujours, l'expression de soi, rien que de soi.


Avant-hier, un de mes collègues ici présent a fait une chronique ravageuse pour se moquer de l'absurde de certaines postures de défense de principe de Tarik Ramadan et on m'a prise à parti, téléphonée, interpellée sur les réseaux sociaux, par groupes interposés, etc. pour que je me prononce sur cette chronique que les gens ont prise au sérieux. Comment était-ce possible, me suis-je demandé, quand on écoute ou bien lit ? Il n'y a pas moyen que ce soit autre chose que c'est : de l'humour... Noir, certes, absurde, certainement. Mais salvateur puisqu'il implique de réfléchir à nos réflexes identitaires souvent délétères. Pourtant, quand la grandiloquence domine, l'humour est-il encore roi ?


Et puis, toute cette semaine – il y a des conjonctions, comme ça, qui dirigent la réflexion, je me suis trouvée à faire la remarque à des proches, des collègues, des amis ou à moi-même, sur notre propension à utiliser certaines expressions toutes faites sans assumer tout ce qu'elles impliquent de non pensé ou pire : de pensé par d'autres, aux idéologies bien moins claires que celle du locuteur du moment. Et, ce faisant, j'horripile, et l'on me répond (oui, moi-même je me réponds sur un mouvement d'humeur) : mais enfin, tu sais bien que moi, quand je dis ça, je ne veux pas dire… Sauf que je ne sais rien, ou alors pas vraiment des autres (et parfois de moi, ou tout du moins de ce que je dis quand je pense ne rien dire d'important au point de mériter des mots choisis).


Bref, c'est sans doute le comble pour une chronique radio, je vous parle de malentendus. Ou alors de malentendants, ou bien de maldisants qui ne sont pas forcément médisants mais peuvent l'être, bien sûr. Mais souvent, le plus souvent, même, de très-blessants de ne pas être compris. C'est délicat : nous sommes des créatures de paroles et pourtant, nous ne nous entendons pas. Le drame de la Tour de Babel, c'est cela : on a beau partager une langue ou deux ou trois, nous ne parlons que de nous et toutes nos langues emmêlées, c'est une cacophonie terrible qui nous empêche de penser l'autre dans son discours à lui, qui ne parle, évidemment que de lui.

Et c'est de là que viennent une grande partie de nos problèmes : les sentiments d'identité blessée, l'urgence de tracer des lignes, ce sont surtout des malentendus. Comme si le fait de n'avoir plus de discours unifiant, impensé mais fondateur, qu'il s'agisse de la tradition ou d'une religion vécue de manière à peu près identique entre mon voisin et moi, du fait d'un discours local sur le Verbe nous laissait sans Pierre de Rosette les uns pour les autres.


Dans ces moments de transition, où tout bouge si vite, nous nous trouvons démunis face au plus terrible des discours, cette fameuse novlangue paralysante qui réussit si bien à nous laisser chacun fantasmer à sa guise sa signification sans trop la définir… Et nous voilà dansant, au rythme fou du bal des malentendants.

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